Bibliographie
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I. Introduction : La pratique de l’alpinisme et sa règlementation générale
La pratique de l’alpinisme a drastiquement augmenté ces dernières années, et s’est ouverte à un public beaucoup plus large. L’exploit de gravir de célèbres sommets tels le Cervin et le Mont-Blanc est de plus en plus convoité, surtout par des personnes manquant d’expérience et/ou focalisées sur l’aspect de la performance. Inévitablement, le nombre d’accidents augmente, ce qui pousse à une réglementation de plus en plus présente (Caille, p. 8 et 11).
Face à ce fléau, nos voisins français ont décidé en 2019 d’imposer la nécessité d’un permis pour gravir le Mont-Blanc. Bien que cette nécessité de permis n’ait pour l’heure pas encore été mise en place en Suisse, la question reste à ce jour ouverte, en particulier pour le Cervin (article de la RTS du 07.08.2019 : Les décès d'alpinistes reposent la question de l'accès aux sommets).
Pour ce qui concerne spécifiquement les lieux de pratique de l’alpinisme, il peut arriver que l’Etat restreigne l’accès à certains territoires alpins, pour des raisons notamment de protection de la faune ou de la nature en général. En effet, les animaux sauvages ne peuvent pas toujours éviter les rencontres avec l’homme. Il est donc nécessaire de canaliser les activités humaines, surtout en hiver, afin de laisser des espaces suffisamment vastes où les animaux peuvent se réfugier et se nourrir. L’activité humaine peut également porter atteinte à la nature elle-même, qu’il est parfois nécessaire de protéger.
Les mesures de protection se prennent au niveau de l’affectation du sol, par la mise en place de zones de protection (zones de tranquillité ; art. 7 al. 4 de la loi fédérale sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages [Loi sur la chasse ; LChP ; RS 922.0]). Leur appellation est des plus diverses : zones de tranquillité et de protection de la faune, réserves naturelles, sites de protection privés, etc. Chacune de ces zones est régie par des règles spécifiques qui lui sont propres (zones de tranquillité).
L’accès aux zones de protection peut être totalement interdit, ou encore être limité uniquement à certaines périodes de l’année. Moyennant demande préalable auprès de l’autorité compétente, il est possible d’obtenir des autorisations dérogatoires, sous certaines conditions. Les autorités communales, responsables de l’aménagement de leur territoire, sont toujours à même de donner les premiers renseignements. Il est donc vivement recommandé de prendre préalablement contact avec elles en cas de doute.
Pour ce qui concerne spécifiquement les alpinistes en tant que tels, la loi fédérale sur les guides de montagne et les organisateurs d’autres activités à risque impose aux guides de montagnes la titularité d’un brevet et d’une autorisation étatique (art. 4 ss de la loi fédérale sur les guides de montagne et les organisateurs d’autres activités à risque [LRisque ; RS 935.91]), puisque ceux-ci exercent en tant que professionnels. La délivrance de l’autorisation permet à l’Etat de vérifier les capacités, notamment en alpinisme, de chaque guide. Par ce mécanisme, l’Etat a donc un droit de regard sur les praticiens professionnels de l’alpinisme.
Telle n’est pas la situation des chef(fe)s de course, non soumis à la législation sur les guides de montagne et les organisateurs d’autres activités à risque (art. 1 a contrario LRrisque). Ainsi, ce ne sont donc pas les règles étatiques qui réglementent la capacité d’exercer en tant que chef(fe)s de course mais les règles émanant d’organismes privés, telles les règles internes du club alpin. Pour rappel, ces règles imposent notamment aux chef(fe)s de course de suivre une formation de base, ainsi que des cours de perfectionnement. L’Etat n’a donc aucun droit de regard sur la pratique des chef(fe)s de course du club alpin. Notons ici qu’en raison de sa formation moins poussée, le/la cheff(e) de course n’a pas le droit d’organiser une sortie dont le niveau de difficulté nécessiterait de faire appel à un guide de montagne (échelles de difficulté CAS).
Pour ce qui est du meneur de fait et comme nous allons le voir plus tard, c’est la personne la plus expérimentée du groupe qui occupe en principe cette position. Aucune formation n’est donc exigée, ni même exigible ; tout en chacun pouvant se retrouver à cette place compte tenu de son niveau d’expérience (Tercier/Bieri/Carron, n. 4378).
II. Droit privé : La responsabilité civile
A. Introduction
En cas de mauvaise exécution d’un contrat, le droit civil permet à la personne lésée d’obtenir des dommages et intérêts, voir même une indemnisation pour tort moral. La personne qui a mal exécuté le contrat devra payer ces indemnités à la partie lésée, pour autant qu’elle soit tenue responsable du dommage causé (art. 97 ss CO).
Nous examinerons ci-après la position dans laquelle se trouve le/la guide de montagne, le/la chef(fe) de course ainsi que le meneur de fait lorsqu’ils dirigent une course ; ainsi que les obligations et la responsabilité qui en découlent.
B. La responsabilité contractuelle du/de la guide de montagne et du/de la chef(fe) de course
1. Le contrat de mandat
Qu’il s’agisse d’un(e) guide de montagne ou d’un/une chef(fe) de course, ceux-ci sont tous les deux liés aux participants de la course par un contrat de mandat (Carron, p. 55). Dans la mesure où le contrat de mandat est une base commune, nous allons en premier lieu rappeler les grandes lignes de ce type de contrat avant de se pencher sur les responsabilités spécifiques du/de la guide de montagne et du/de la chef(fe) de course.
Le contrat de mandat est régi par les art. 394 ss CO. La conclusion du contrat de mandat n'est soumise à aucune forme spéciale et peut même intervenir de manière tacite (ATF 110 II 360 = JdT 1985 I 130, 113 II 522 = JdT 1988 I 354, RSJ 1990 143 ss; Tercier/Pichonnaz, n. 192). Dans la pratique de l’alpinisme, la conclusion du contrat de mandat se fait très souvent de manière orale (pour les guides de montagnes, voir l’art. 2 des conditions générales des guides de montagnes pour la Suisse ; pour ce qui concerne spécifiquement le club alpin, l’inscription à une course par le biais du site internet vaut demande de conclusion du contrat de mandat. Par la sélection du candidat, le/la chef(fe) de course accepte la demande, ce qui amène à la conclusion du contrat, cf art. 395 CC). Ce contrat peut être conclu à titre onéreux – cas du/de la guide de montagne – ou (partiellement) gratuit – cas du/de la chef(fe) de course du club alpin (art. 394 al. 3 CO).
Le mandat est un contrat par lequel le mandataire (le/la guide de montagne ou le/la chef(fe) de course) s’oblige à rendre des services pour le compte du mandant, en l’occurrence, le/la client(e) ou le/la participant(e) (art. 394 CO ; Tercier/Pichonnaz, n. 1000 ss). Le contrat de mandat n’implique pas une obligation de résultat, mais uniquement une obligation de moyen (ATF 134 III 361 consid. 6 ; ATF 127 III 357 consid. 1b, Jdt 2002 I 192). Ainsi, si le/la guide de montagne, respectivement le/la chef(fe) de course a fait preuve de toute la diligence que l’on pouvait attendre de lui/d’elle mais que le résultat escompté n’est pas atteint, il/elle sera réputé(e) avoir correctement exécuté ses obligations et ne pourra pas être tenu(e) responsable d’un éventuel dommage (Tercier/Bieri/Carron, n. 4317).
Afin d’illustrer ce qui précède, nous pouvons citer le cas d’une course dont l’objectif consiste à atteindre un sommet. Le/la guide de montagne, respectivement le/la chef(fe) de course, devra tout mettre en œuvre pour atteindre ce sommet, mais n’aura pas l’obligation d’amener le groupe au sommet si cela devait s’avérer contraire à son devoir de diligence.
2. Le devoir de diligence
La principale obligation du/de la guide de montagne respectivement du/de la chef(fe) de course consiste en le respect du devoir de diligence dans l’exécution du contrat de mandat qui lui a été confié (art. 398 al. 2 CO). Le devoir de diligence se détermine par plusieurs règles (qui se complètent (ATF 133 IV 138, consid. 5.1 ; TF 6B_1036/2019 du 16 janvier 2020, consid. 2.2 ; TF 6B_738/2012 du 18 juillet 2013, consid. 2.3.1 ; CR-Villard/Corboz, art. 12 CP n. 145).
En premier lieu, il convient de rechercher dans la loi s’il existe des normes spéciales prescrivant un comportement déterminé, soit pour le cas de l’alpinisme, des règles édictées en vue d’assurer la sécurité et d’éviter les accidents (ATF 135 IV 56, consid. 2.1 ; ATF 134 IV 255 consid. 4.2.3 ; TF 6B_364/2020 ; 6B_365/2020 et 6B_380/2020 du 26 juin 2020 ; 6B_ 122/2019 du 17 septembre 2019). Le devoir de diligence est ensuite complété, respectivement défini, par les normes de sécurité édictées par des organismes privés ou semi-publics, pour autant que ces règles soient généralement reconnues (ATF 136 IV 97, consid. 6.2.2 ; 6B_ 1036/2019 du 16 janvier 2020). Il s’agit typiquement des règles et directives adoptées par l’association suisse des guides de montagnes ou par le club alpin. Enfin, le devoir de diligence est précisé par des principes de comportement, même non écrit, qui sont généralement reconnus. Il s’agit des règles de l’art (ATF 6B_1008/2016 du 22 novembre 2017, consid. 5.3.1).
Une fois les règles applicables déterminées, il convient de prendre en compte l’ensemble des circonstances concrètes, afin de déterminer le degré de diligence auquel est soumis le/la guide, respectivement le/la chef(fe) de course (Tercier/Bieri/Carron, n. 4434 ; ATF 133 III 121 c. 3.1). Ce degré de diligence dépendra donc de l’ensemble des circonstances du cas concret, en particulier de la nature des activités prévues, de la difficulté de la course proposée, de l’aptitude des participants ainsi que des connaissances techniques et capacités du/de la guide de montagne, respectivement du/de la chef(fe) de course (ATF 117 III 563 c. 2a ; ATF 134 III 534 c. 3.2.2 ; ATF 127 III 357 c. 1c). Compte tenu de son degré de formation et de ses aptitudes plus vastes, le/la guide de montagne sera soumis à un degré de diligence plus élevé que le/la chef(fe) de course, dont la formation est bien moins conséquente.
Comme nous allons le voir ci-après, la violation fautive du devoir de diligence engage la responsabilité civile du/de la guide de montagne, respectivement du/de la chef(fe) de course (art. 398 CO).
3. La responsabilité
a. De manière générale
Les règles sur la responsabilité civile, n’ont pas comme objectif de punir la personne concernée mais de dédommager la personne lésée pour le dommage qui lui a été causé (CR-Werro/Perritaz, art. 41 CO n. 1 ss). Le/la guide de montagne, respectivement le/la chef(fe) de course répond du dommage qu’il/elle cause au/à la participant(e), que ce soit intentionnellement ou par négligence (Art. 321 e al. 1 CO, par renvoi de l’art. 398 al. 1 CO, prévoyant que la responsabilité du mandataire est soumise, d’une manière générale, aux mêmes règles que celles du travailleur dans les rapports de travail).
Pour que la responsabilité du/de la guide, respectivement du/de la chef(fe) de course soit engagée, les quatre conditions cumulatives suivantes doivent être remplies :
- Un dommage : Le/la participant(e) à la course doit prouver qu’il a subi un dommage (ATF 132 III 359 c. 4, JdT 2006 I 295). Il peut s’agir d’un dommage physique (une blessure par exemple) et/ou matériel (piolet cassé par exemple) (le tort moral peut également être considéré comme un dommage, pour autant qu’il soit d’une gravité suffisante, TF 4A_227/2007 du 26 septembre 2007, consid. 3.7.2).
- Une violation du contrat (violation du devoir de diligence) : Le/la participant(e) doit prouver que le/la guide, respectivement le/la chef(fe) de course a violé une ou plusieurs de ses obligations contractuelles (TF 4A_577/2015 du 1er mars 2016, consid. 4). Etant donné que le contrat de mandat ne contient pas d’obligation de résultat mais uniquement de moyen, l’absence ou l’échec d’un résultat ne constitue pas, à lui seul, la preuve d’une violation du contrat. La personne lésée doit donc prouver que le/la guide, respectivement le/la chef de course a violé son devoir de diligence (ATF 127 III 357 consid. 1b, JdT 2002 I 192).
- Une faute : Ce dernier critère impose que la violation du contrat soit imputable au/à la guide, respectivement au/à la chef(fe) de course. En d’autres termes, une faute, intentionnelle ou par négligence, doit avoir été commise. Cette faute n’a pas à être prouvée par le/la participant(e) car elle est présumée, en particulier lorsqu’une règle de sécurité n’a pas été respectée. Il revient donc au/à la guide, respectivement au/à la chef(fe) de course de prouver que la faute ne lui est pas imputable (ATF 127 III 357 consid. 1b, JdT 2002 I 192).
- Une relation de causalité : Le/la participant(e) lésé(e) doit encore établir qu’il existe un lien de causalité (naturelle et adéquat) entre la violation fautive du contrat et le préjudice qu’il/elle invoque (TF 4A_577/2015 du 1er mars 2016, consid. 4). En d’autres termes, il s’agit de prouver que le dommage causé résulte de la faute reprochée au/à la guide, respectivement au/à la chef de course.
Si les quatre conditions précitées sont réunies, le/la guide, respectivement le/la chef(fe) de course, devra réparer le dommage causé à un(e) ou plusieurs participants.
La loi prévoit toutefois la possibilité de réduire, voire même de supprimer l’indemnité due à la victime en cas de faute concomitante (art. 97 CO). L’on parle de faute concomitante de la partie lésée lorsque cette dernière omet de prendre les mesures que l’on pouvait attendre d’elle et qui étaient propres à éviter la survenance ou l’aggravation du dommage. La faute concomitante suppose que l’on puisse reprocher à la personne lésée un comportement blâmable, en particulier un manque d’attention ou une attitude dangereuse, parce qu’elle n’a pas déployé les efforts d’intelligence ou de volonté que l’on pouvait attendre d’elle compte tenu des circonstances concrètes (ATF 4A_119/2018 du 7 janvier 2019, consid. 5). A titre d’exemple, nous pouvons citer le cas de la victime qui n’écoute pas les instructions du/de la guide de montagne ou du/de la chef(fe) de course et emprunte un itinéraire différent de celui qui a été indiqué.
b. La responsabilité spécifique du/de la guide de montagne
Comme nous l’avons vu plus haut, il revient à la personne lésée de prouver qu’il y a eu une violation du devoir de diligence. Afin de ne pas être tenu responsable, le/la guide devra quant à lui/elle prouver qu’il/elle n’a pas violé son devoir de diligence. Tant la preuve que le devoir de diligence occupent donc une place centrale.
Afin de déterminer si le/la guide de montagne a agi avec diligence, il convient en premier lieu de clarifier le contenu de ce devoir. Pour ce faire, il faut se référer aux réglementations applicables. Ces règles définissent les formations à suivre pour pouvoir exercer en tant que guide, ainsi que les comportements adéquats et les règles de sécurité en matière d’alpinisme. Dans un second temps, il y aura lieu de vérifier si les règles théoriques ont été correctement appliquées dans le cas concret, compte tenu de l’ensemble des circonstances.
Le/la guide de montagne ne peut pas exercer en tant que tel sans l’obtention d’un brevet fédéral en la matière ainsi que d’une autorisation d’exercer (art. 3 LRisque). L’obtention du brevet fédéral assure des connaissances solides de la montagne, justifiant d’un devoir de diligence élevé (Art. 3 des conditions générales des guides de montagne de la Suisse). Dans le cadre de sa formation, le/la guide apprend les règles de sécurité en matière d’alpinisme. Il/elle a l’obligation de se conformer à ces règles dans la pratique de son métier. Les associations professionnelles, telle l’association suisse des guides de montagne promulguent également des règles sur la pratique de l’alpinisme que le/la guide a l’obligation de suivre, sous peine de violer son devoir de diligence.
A titre d’exemple, la LRisque mentionne un devoir général de diligence, ainsi que certaines règles de sécurité, lesquelles clarifient le devoir de diligence du/de la guide de montagne (art. 2 LRisque). Ainsi, la loi prévoit de manière générale que « quiconque propose une activité soumise à la présente loi est tenu de préserver la vie et la santé des participants en prenant les mesures que commande l’expérience, que permet la technique et qu’exige la situation ». Ce devoir général de diligence se concrétise notamment par les obligations suivantes :
- Un devoir d’information accru : le guide doit expliquer à ses clients les risques particuliers pouvant résulter de la pratique de l’activité choisie (let. a) ;
- Un devoir de contrôle des aptitudes des clients quant à la pratique de l’activité choisie (let. b) ;
- Un devoir de vérification du matériel (let. c) ;
- Un devoir de vérification du caractère adapté de l’activité au regard des conditions météorologiques, notamment d’enneigement (let. d) ;
- Un devoir de vérification du nombre d’accompagnateurs, compte tenu du degré de difficulté de l’activité et de ses risques (let. f).
Une fois les règles applicables déterminées, il convient d’examiner l’ensemble des circonstances du cas précis afin de déterminer si le/la guide a correctement mis en œuvre les règles qui lui sont applicables et s’il a violé son devoir de diligence. Dans ce cadre, il est notamment tenu compte de l’âge du/de la guide de montagne, de son expérience, de la difficulté de la course, des conditions météorologiques, du niveau des participants à la sortie, etc. S’il en résulte que le/la guide de montagne a violé son devoir de diligence de manière fautive, il/elle sera contraint(e) de procéder au dédommagement du préjudice causé (un agissement fautif de la part du/de la guide pourra également avoir des conséquences sur l’autorisation nécessaire à la pratique de l’activité, cf. art. 3 LRisque, en lien avec l’art. 8 de l’ordonnance sur les guides de montagne et les organisateurs d’autres activités à risque [ORisque ; RS 935.911]).
A titre d’exemples, un/une guide de montagne violerait son devoir de diligence et pourrait être tenu(e) responsable du dommage causé s’il/elle emmène un nombre supérieur de clients à ce qui est admis dans la pratique pour un sommet donné, n’informe pas ses clients de la trajectoire précise à prendre dans un passage dangereux, ou encore ne porte pas une attention suffisante à un/une client(e) qui aurait le pied peu sûr dans un passage difficile.
c. La responsabilité spécifique du/de la chef(fe) de course
Tout comme pour le/la guide, le devoir de diligence d’un(e) chef(fe) de course se détermine en premier lieu au regard des réglementations qui lui sont applicables. Dans un second temps, il convient de vérifier si ces règles théoriques ont été correctement appliquées dans le cas concret, compte tenu de l’ensemble des circonstances.
Comme dit précédemment, le/la chef(fe) de course n’est pas soumis à la loi sur les guides de montagne et les organisateurs d’autres activités à risque. Il convient donc de se référer aux réglementations du club alpin en premier lieu. Selon ces réglementations, le/la chef(fe) de course doit suivre une formation de base qui lui permet d’intégrer cette fonction. Ces cours permettent de valider un certain niveau de connaissance et de savoir-faire en montagne. Le/la chef(fe) de course doit également suivre des cours de perfectionnement à intervalles réguliers, afin de maintenir ses connaissances à niveau (Règlement concernant l’obligation de formation et de perfectionnement des chefs de courses du CAS).
Lorsque le/la chef(fe) de course exerce en tant que tel(le), il/elle doit appliquer les règles de sécurité de l’alpinisme qu’il/elle a apprises dans le cadre de ses formations. Certaines de ces règles sont rappelées par le club alpin au moyen de directives accessibles à tous (aide mémoire). Ces règles clarifient le devoir de diligence du/de la chef(fe) de course.
A titre d’exemple, nous pouvons citer les directives relatives à la planification des courses, desquelles il ressort ce qui suit (CAS planification) :
- Un devoir de choisir une course de niveau accessible pour les membres du club alpin et dont la difficulté ne dépasse pas les aptitudes du/de la chef(fe) de course ;
- Une obligation de vérifier le niveau de chaque participant ;
- Un devoir de consulter le bulletin météorologique et d’avalanche ;
- En cas d’annulation de l’itinéraire initialement prévu, une obligation d’informer l’organe compétent et de s’assurer que les participants sélectionnés disposent également d’un niveau suffisant pour participer à la course alternative, qui ne doit en aucun cas être plus difficile que l’itinéraire initial ;
- Un devoir d’information toute au long de la course, permettant aux participants d’obtenir les instructions adéquates ; les participants les plus jeunes, respectivement les moins expérimentés, nécessitent une attention particulière ;
- Une interdiction pour le/la chef(fe) de course, tout comme les participants, de quitter la course avant que tout le monde ne soit arrivé à bon port.
Le/la chef(fe) de course a également un devoir implicite de responsabiliser les participants. En effet, le devoir d’information et de vérification incombant au/à la chef(fe) de course ne délivre pas le/la participant(e) de toute responsabilité. Au contraire, il lui appartient d’informer spontanément le/la chef(fe) de course de certaines circonstances particulières, que le/la précité(e) n’a pas à déceler lors de son contrôle habituel. L’on pense par exemple ici à l’état de santé physique et psychique du participant, ou à l’état fonctionnel de son propre matériel. Si le participant n’honore pas cette obligation d’information et qu’un dommage lui est causé, une faute concomitante pourra être retenue à sa charge.
Tout comme pour le/la guide de montagne, il convient ensuite de prendre en compte l’ensemble des circonstances du cas concret, afin de déterminer si le/la chef(fe) de course a violé son devoir de diligence. Ainsi, à titre d’exemples, la difficulté de la course, le niveau des participants, les conditions météorologiques, l’expérience et l’âge du/de la chef(fe) de course seront pris en compte. Etant donné que le/la chef(fe) de course a suivi une formation bien moins poussée que le/la guide de montagne et qu’il/elle n’agit pas de manière professionnelle, son degré de diligence sera moins élevé que celui d’un(e) guide de montagne (pour rappel, la LRisque est uniquement applicables aux guides de montagne, à l’exclusion des chef(fe)s de course dans leur pratique au sein du club alpin [art. 1 al. 2 LRisque]).
Si le/la chef(fe) de course viole son devoir de diligence de manière fautive, il/elle sera contraint de procéder au dédommagement du préjudice causé. Les exemples suivants peuvent être cités comme des comportements du/de la chef(fe) de course mettant en cause sa responsabilité : accepter un participant n'ayant ni souliers adéquats ni habit chaud adaptés aux conditions de la course prévue, admettre un participant à une course sur glacier alors que celui-ci n’a ni crampon ni piolet, omettre d'assurer un participant lors d’un rappel, négliger de vérifier l'encordement, ne pas contrôler le fonctionnement des DVA (Les Alpes 9/1996, p. 25), négliger les précautions élémentaires, tel encorder les participants aux endroits dangereux.
d. Excursus : La responsabilité spécifique de l’adjoint(e) du/de la chef(fe) de course
Pour ce qui concerne l’adjoint(e), celui/celle-ci seconde le/la chef(fe) de course dans sa prestation et agit en tant qu’auxiliaire (art. 101 CO). Selon la règle ordinaire, le/la chef(fe) de course répond des agissements de son adjoint(e), en particulier de son éventuel manque de diligence. Le/la chef(fe) de course devra donc soigneusement choisir son adjoint et vérifier que celui/celle-ci dispose de l’expérience nécessaire pour occuper ce poste au regard de la difficulté de la course choisie.
Etant donné que le/la chef(fe) de course répond des agissements de son adjoint(e), celui/celle-ci se verra imputer le même degré de diligence que celui du/de la chef(fe) de course. Ce principe souffre cependant d’une exception : lorsque l’adjoint(e) a plus d’expérience que le/la chef(fe) de course, cette expérience supplémentaire sera imputée au/à la chef(fe) de course et augmentera d’autant son degré de diligence (ATF 130 III 591, consid. 5.5.4, JdT 2006 I 131).
C. La responsabilité délictuelle du meneur de fait
Lorsqu’il existe des différences de capacité et d’expérience entre les participants à une course d’alpinisme, la personne la plus expérimentée est tenue, dans la mesure du possible, de parer à la concrétisation du danger sur les personnes les moins expérimentées. Cette personne occupe alors la position du meneur de fait. Un rapport de protection peut aussi exister entre des partenaires de force et d’expérience égales. Celles-ci doivent alors assumer un devoir réciproque d’entraide et d’assistance et occupent simultanément la position du meneur de fait (CR-Cassani/Villard, art. 11 CP n. 39).
Le cas du meneur de fait se présente lorsqu’un(e) guide de montagne use de ses capacités et connaissances avec un groupe de personnes, en dehors de son cadre professionnel. Il en va de même du/de la chef(fe) de course qui pratique en dehors du cadre du club alpin. Il s’agit la plupart du temps d’une sortie entre amis. Tant le/la guide que le/la chef(fe) de course aura en principe des connaissances et une expérience supérieures au reste du groupe. Ce cas de figure peut bien évidemment également se présenter lorsque des membres du club alpin qui ne sont pas chef(fe) de course décident d’organiser une sortie alpine entre eux. Le ou les plus expérimentés du groupe, occuperont la position de meneur de fait. De ce fait, il/elle endossera de manière implicite la responsabilité du groupe, c’est-à-dire le rôle du meneur de fait, et sera tenu d’agir avec une certaine diligence.
Le cas du meneur de fait peut également se présenter lorsqu’un(e) guide de montagne, respectivement un(e) chef(fe) de course participe à une course alors qu’il/elle dispose d’une expérience supérieure au meneur officiel de la course. Dans ce type de situation, toute la responsabilité de la course ne reposera pas sur le/la guide de montagne respectivement le/la chef(fe) de course plus expérimenté(e), mais sera partagée avec celle imputable au meneur officiel de la sortie. Un degré de diligence supérieur à celui des autres participants sera en effet applicable au/à la guide de montagne respectivement au/à la chef(fe) de course plus expérimenté(e).
Contrairement aux guides de montagnes et aux chef(fe)s de courses, le meneur de fait n’est pas lié par une relation contractuelle avec les participants. En effet, le meneur de fait n’a pas été mandaté pour diriger une course, mais occupe cette position par acte de complaisance, et souvent de manière implicite. Or, celui qui agit par acte de complaisance n’engage pas sa responsabilité contractuelle faute de contrat, mais engage sa responsabilité délictuelle au sens de l’art. 41 CO (Tercier/Bieri/Carron, n. 4378).
Si le meneur de fait cause un dommage de manière fautive à un membre du groupe, il sera alors tenu de l’indemniser (art. 41 CO). Pour que la responsabilité délictuelle du meneur de fait soit engagée, quatre conditions cumulatives doivent être remplies :
- Un dommage : Le dommage peut être physique et/ou matériel et doit être prouvé par la personne lésée (art. 42 CO).
- La faute : Ce critère impose que le meneur de fait ait commis un manquement à son devoir, c’est-à-dire, qu’il ait fait preuve de négligence, en violant son devoir de diligence. Comme exposé précédemment, le degré de diligence se juge au regard des circonstances concrètes (CR-Werro/Perritaz, art. 41 CO n. 56 s).
- Une relation de causalité : entre le dommage et la faute.
- L’illicéité : Aucun fait justificatif ne doit pouvoir lever le caractère illicite du manquement commis par le meneur de fait (ATF 132 II 305, consid. 4.1, SJ 2000 i 549 ; ATF 123 II 577, consid. 4), tels le consentement de la personne lésée, la légitime défense etc (cf. notamment art. 52 CO, art. 28 al. 2 CC).
Si ces quatre conditions sont remplies, le meneur de fait sera responsable du dommage causé et devra indemniser la victime.
Tout comme le système de la responsabilité contractuelle, la loi prévoit toutefois la possibilité de réduire, voire même d’annuler l’indemnité due à la victime lorsque la partie lésée a consenti au dommage, ou alors lorsqu’elle a contribué à créer ou à augmenter le dommage (art. 44 CO). L’on parle alors de faute concomitante de la partie lésée. Ce cas se présente par exemple lorsque la partie lésée omet de prendre les mesures raisonnables que l’on pouvait attendre d’elle compte tenu des circonstances concrètes, afin de contrecarrer la survenance ou l’aggravation du dommage (CR-Werro/Perritaz, art. 44 CO n. 12). Il s’agit typiquement du cas dans lequel le/la participant(e) omet d’informer le meneur de course d’une situation particulière, que celui-ci n’était pas sensé découvrir lors de ses vérifications et contrôles habituels.
III. Droit pénal : La responsabilité délictuelle
A. Introduction
En matière d’alpinisme, les principales infractions rencontrées sont les lésions corporelles graves commises par négligence, les lésions corporelles simples commises par négligence (art. 125 CP) ainsi que l’homicide commis par négligence (art. 117 CP). Les lésions corporelles graves ainsi que l’homicide sont des délits poursuivis d’office, car ils sont considérés comme des infractions graves (art. 117 et 125 al. 2 CP). En revanche, les lésions corporelles simples ne sont poursuivies que sur plainte.
Dans le cadre de cette contribution, nous partons du principe que l’auteur n’a pas commis l’infraction de manière intentionnelle. Pour cette raison, seule la commission par négligence sera étudiée et, en particulier, seules les infractions précitées seront examinées ci-dessous.
B. Les infractions commises par négligence
1. Définition de la négligence
Pour que la négligence soit punissable, l’auteur doit commettre une imprévoyance coupable, conduisant à la commission d’une infraction. Cela se produit lorsque l’auteur ne s’est pas rendu compte des conséquences de son acte, car il n’a pas usé des précautions commandées par les circonstances et sa situation personnelle (art. 12 al. 3 CP). Pour que la négligence soit punissable, deux conditions doivent donc être remplies.
En premier lieux, une violation des règles de la prudence doit avoir été commise. En alpinisme, ce devoir de prudence se confond avec le devoir de diligence (Villard/Corboz, art. 12 CP n. 133 ss). Ainsi, il convient dans un premier temps de déterminer les obligations de diligence de l’auteur, puis de se demander si une personne raisonnable, dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l'auteur pouvait prévoir, dans les grandes lignes, le déroulement des événements et, le cas échéant, quelles mesures cette personne pouvait prendre, respectivement aurait dû prendre pour éviter la survenance du résultat, compte tenu des connaissances qu'elle pouvait avoir au moment des faits (ATF 134 IV 255 consid. 4.2.3). Le comportement de tiers, tels les participants à la course, devra également être pris en compte dans le cadre de l’examen des circonstances concrètes, puisque ceux-ci sont également tenus à un certain devoir de prudence (ATF 143 IV 138 consid. 2.1 ss ; ATF 143 IV 500, consid. 1.2.4).
En second lieu, la violation doit être intervenue de manière fautive, c'est-à-dire que l'on puisse reprocher à l'auteur, compte tenu de ses circonstances personnelles, une inattention ou un manque d'effort blâmable (ATF 134 IV 255 consid. 4.2.3; CR-Villard/Corboz, art. 12 CP n. 205).
2. La position de garant
La négligence peut être causée par un comportement actif ou passif. Un comportement passif est toutefois seulement punissable si l’auteur a un devoir juridique d’agir. On parle alors d’une position de garant (art. 11 CP).
Le/la guide de montagne et le/la chef(fe) de course occupent une position de garant en raison du contrat de mandat qui les lie à leurs clients, respectivement aux participants. La position de garant découle du devoir de diligence qu’implique la relation contractuelle qui est celle du mandat (CR-Cassani/Villard, art. 11 CP n. 32 ss.).
Le meneur de fait occupe également une position de garant, en raison de son devoir de protection résultant de la situation de risque librement consentie (art. 11 al. 2 let. c CP).
3. Les lésions corporelles simples/graves commises par négligence
Selon l’art. 125 al. 1 du code pénal (CP), celui qui, par négligence, aura fait subir à une personne une atteinte à l’intégrité corporelle ou à la santé sera, sur plainte, puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. En cas de lésion corporelle grave, le responsable sera poursuivi d’office (art. 125 al. 2 CP).
Une lésion corporelle peut consister en une lésion du corps humain (blessures, telles que des fractures, des foulures, des coupures ou des hématomes) ou alors en une atteinte à la santé tant physique que psychique (rendre malade, aggraver la maladie ou retarder la guérison) (ATF 134 IV 191 consid. 1.1, 119 IV 26).
En principe une lésion corporelle est qualifiée de grave si la blessure causée crée un danger immédiat de mort chez la victime, peu importe que le danger de mort soit de courte durée. Les lésions sont également graves si elles conduisent à une incapacité permanente de travail, une infirmité permanente ou une maladie mentale permanente (CR-Rémy, art. 122 CP n. 5ss). Une défiguration grave et permanente est également caractérisée de lésion corporelle grave (ATF 115 IV 19 consid. 2a).
La lésion corporelle sera en revanche qualifiée de simple lorsqu’il est questions d’une atteinte au corps humain ou à la santé, qui ne remplit pas les critères de la lésion corporelle grave (art. 123 CP). Ainsi, la lésion devra dégrader de manière constatable l’état soit du corps humain, soit de la santé. A titre d’exemples nous pouvons citer le fait de faire tomber la victime et lui causer une foulure, une fracture, une coupure, un hématome ou toute autre altération constatable du corps humain qui ne met pas sa vie en danger (CR-Rémy, art. 123 CP n. 2 ss).
Pour être punissable, la négligence doit encore présenter un lien de causalité avec la lésion causée (ATF 115 IV 199 consid. 5b; ATF 133 IV 158 consid. 6.1).
Il est important de garder à l’esprit le fait que dans le domaine du sport, en particulier pour ce qui est de l’alpinisme, il existe un risque de lésion corporelle inhérent à l’activité. Ainsi, jusqu’à un certain degré, les lésions corporelles infligées durant la pratique de l’alpinisme seront couvertes par l’accord, implicite, de la personne lésée, et donc considérées comme licites (CR-Villard/Corboz, art. 12 CP n. 177). Tels seraient typiquement le cas de légères éraflures ou d’hématomes, dus à une pratique conforme de l’alpinisme.
4. L’homicide commis par négligence
Selon l’art. 117 CP, celui qui, par négligence, aura causé la mort d’une personne, sera puni de l’emprisonnement ou de l’amende.
L’infraction consiste à violer par négligence un devoir de prudence et à causer ainsi la mort d’autrui.
Un lien de causalité doit exister entre la négligence et la mort de la victime (ATF 115 IV 199 consid. 5b; ATF 133 IV 158 consid. 6.1).
C. La responsabilité spécifique du/de la guide et du/de la chef(fe) de course : Devoir de garant résultant du contrat de mandat
Le/la guide de montagne et le/la chef(fe) de course occupe une position de garant en raison du contrat de mandat. Ce devoir de garant implique un devoir de protection des participants, respectivement un devoir d’agir. Ainsi, tant le/la guide de montagne que le/la chef(fe) de course pourra commettre une négligence soit de manière active, soit de manière passive. Dans ce dernier cas, il/elle doit omettre d’agir alors que les circonstances auraient commandé une action (CR-Villard/Corboz, art. 12 CP n. 123 ss).
La négligence est coupable seulement si une règle de prudence a été violée de manière fautive. De manière analogue au devoir de diligence exposé en matière civile, le devoir de prudence se détermine au regard des circonstances concrètes. Ainsi, en premier lieu il doit être examiné si des règles de droit, respectivement de sécurité ont été violées. En particulier, il s’agit des directives et lois auxquelles sont soumises le/la guide (il s’agit en particulier de la LRisque ; des règles de sécurité édictées par les associations privées ainsi que des règles générales de prudence), respectivement le/la chef(fe) de course. Il s’agit en particulier des règles et directives du club alpin, des règles de sécurité ainsi que des règles générales de prudence. Si ces règles n’ont pas été respectées, la violation du devoir de prudence est présumée (ATF 134 IV 255 consid. 4.2.3). Sont ensuite prises en compte les circonstances concrètes pour déterminer si le devoir de diligence a effectivement été violé.
Tout comme en droit civil, le/la guide de montagne disposant d’une formation plus poussée qu’un(e) chef(fe) de course, son degré de devoir de prudence sera plus élevé que celui imputable à un(e) chef(fe) de course.
Si le/la guide de montagne ou le/la chef de course viole de manière fautive son devoir de diligence, une sanction pénale lui sera infligée.
A titre d’exemple de violation fautive du devoir de diligence, nous pouvons citer le cas du guide de montagne qui a opté pour un itinéraire dont il avait reconnu le danger potentiel en raison du risque d’avalanche, mais n’a pas pris d’autres précautions qu’un simple test de la qualité de la neige au moyen d’un bâton, alors qu’il pouvait, sans effort supplémentaire et sans nuire à l’excursion, passer par un autre endroit dépourvu de danger. L’un de ses clients a déclenché une avalanche en passant par cet itinéraire. Le guide de montagne a été reconnu coupable d’homicide par négligence car il a pris un risque qui dépassait la mesure admissible et a de ce fait violé son devoir de diligence. Il est intéressant de souligner que dans sa décision, le Tribunal fédéral a examiné la question de la faute concomitante de la victime. Celle-ci a été niée en raison du fait que le guide de montagne n’avait pas donné d’indication claire quant au tracé à suivre, et que la victime ne s’était guère écartée du tracé emprunté par le reste du groupe. Le lien de causalité n’a pas non plus été interrompu par une éventuelle faute de la victime puisque selon l’expertise, l’avalanche aurait très bien pu se déclencher lors du passage des premiers participants. Ainsi, même si on devait admettre que la victime n’avait pas exactement suivi le tracé indiqué par le guide, il ne s’agirait là en aucun cas de la cause la plus probable de l’accident, reléguant à l’arrière-plan la responsabilité du guide (ATF 6B_275/2015 du 22 juin 2016).
Si le cas de figure précité devait être appliqué au/à la chef(fe) de course, la violation du devoir de diligence est si évidente, qu’il y aurait sans nul doute également condamnation. En revanche, la sanction infligée par le juge serait moins élevée que pour un/une guide de montagne, étant donné le degré de diligence moins élevé imputable au/à la chef(fe) de course.
D. La responsabilité spécifique du meneur de fait : Devoir de garant résultant de l’entreprise téméraire
Si le/la guide de montagne occupe une position de meneur de fait, c’est qu’il/elle n’agit pas dans son cadre professionnel ou alors qu’il/elle dispose d’une expérience supérieure à celle du meneur officiel de la sortie. Si le/la chef(fe) de course occupe cette position, c’est qu’il/elle n’agit pas dans le cadre du club alpin ou alors qu’il/elle dispose d’une expérience supérieure à celle du meneur officiel de la sortie. Si un tiers occupe cette position, c’est uniquement en raison de son expérience.
Tout comme pour le/la guide de montagne et le/la chef(fe) de course, la culpabilité du meneur de fait sera uniquement donnée en cas de violation fautive d’une règle de la prudence. Tout comme les premiers cités, le devoir de prudence du meneur de fait sera déterminé selon les circonstances concrètes. A titre d’exemple, nous pouvons citer l’âge et l’expérience du meneur de fait, la difficulté de la course, le niveau des participants, etc.
Les circonstances personnelles sont donc déterminantes puisque se posera la question de savoir si, compte tenu de ses connaissances, l’auteur aurait pu éviter la commission de l’infraction. Pour rappel, le degré de prudence d’un(e) guide de montagne est plus élevé que celui d’un tiers, ne disposant d’aucune formation.
IV. Droit des assurances sociales : Réduction et refus des prestations
A. La notion d’accident appliquée à l’alpinisme
Pour rappel et de manière générale, l’accident est un processus accidentel atteignant l’assuré dans sa santé. Le processus et l’atteinte doivent être liés par le lien de causalité (art. 4 LPGA). L’accident suppose la survenance d’un facteur extérieur extraordinaire, qui doit faire irruption de manière soudaine, sans que l’assuré(e) lui-même ne l’ait voulu (Dupont/Longchamp, p. 296).
La notion d’accident est appliquée de manière plus stricte dans le domaine du sport, respectivement de l’alpinisme. En effet, il ressort de la jurisprudence du Tribunal fédéral qu’en matière d’activité sportive, le Tribunal tient compte du fait que lors de la pratique du sport concerné, tel l’alpinisme, le risque d’accident est plus élevé que dans la moyenne et que, de ce fait, son caractère imprévisible en est d’autant diminué. Ainsi, le Tribunal examine dans un premier temps si l’accident fait partie des risques inhérents à l’activité sportive considérée. Dans un second temps, il examine si, concrètement, compte tenu des circonstances personnelles, le/la sportif/ve devait raisonnablement compter avec la survenance de cet accident (Dupont/Longchamp, p. 303).
En résumé, plus la personne concernée est expérimentée, plus elle est considérée comme pouvant prendre des risques dans la pratique de son sport tel l’alpinisme, et moins le caractère extraordinaire de l’accident sera admis. Le Tribunal tend donc, de manière générale, à reconnaître moins facilement l’accident dans le domaine du sport, respectivement de l’alpinisme.
B. La réduction des prestations pour négligence grave
Si l’assuré(e) a provoqué l’accident par une négligence grave, l’assurance dispose de la possibilité de réduire les indemnités journalières versées durant les deux premières années qui suivent l’accident (art. 37 al. 1 LAA, dérogeant au régime général de l’art. 21 al. 1 LPGA). La négligence grave est une violation des règles élémentaires de prudence que toute personne raisonnable aurait observé dans la même situation et dans les mêmes circonstances, afin d’éviter la survenance de l’accident (ATF 134 V 340 consid. 3.1 et ATF 121 V 45 consid. 3b). Un simple comportement inadéquat, erroné ou imprévoyant, qui ne constitue qu’une faute légère, n’entraîne pas de réduction des indemnités (Frésard-Fellay/Kahil-Wolff/Perrenoud, p. 446).
Pour que l’assurance opère une réduction des prestations, le lien de causalité entre la négligence grave et le fait dommageable doit être donné (ATF 121 V 45 consid. 3a et ATF 118 V 307 consid 2c).
A titre d’exemple, nous pouvons citer le cas d’un(e) chef(fe) de course qui omet d’imposer l’utilisation des crampons sur un glacier à forte pente, ou le cas d’un(e) guide de montagne qui omet d’imposer le port du casque dans un endroit à fort risque de chute de pierres.
C. La réduction ou le refus de prestations en cas d’entreprise téméraire
Le système juridique des assurances sociales prévoit qu’en cas d’entreprise téméraire, les prestations peuvent être réduites de moitié, et, dans les cas particulièrement graves, être refusées (il est important de noter que même en cas d’entreprise téméraire, le sauvetage d’une personne, autant inadéquat soit-il, est toujours couvert par l’assurance en vertu de l’art. 50 al. 2 OLAA ; ATF 134 V 340 consid. 4.2).
Par entreprises téméraires, il faut entendre les cas dans lesquels l’assuré(e) s’expose sciemment à un danger particulièrement grave, sans prendre de mesures pour en réduire le risque (art. 50 OLAA). L’entreprise téméraire doit être dans un rapport de causalité avec le préjudice à la santé causé (ATF 138 V 522, consid. 6 et 7). La réduction, respectivement le refus est déterminé en fonction du rôle de l’entreprise téméraire dans le dommage causé (ATF 126 V 116, consid. 5b et ATF 115 V 413).
Le système distingue les entreprises téméraires absolues des entreprises téméraires relatives. Les entreprises téméraires absolues sont des activités dangereuses, indépendamment de l’instruction, de la préparation, de l’équipement et des aptitudes de l’assuré(e) (Ionta, p. 196). A titre d’exemple, nous pouvons citer le base-jumping, les courses de quad et les courses automobiles en côte (Frésard-Fellay/Kahil-Wolff/Perrenoud, p. 449). En revanche, les entreprises téméraires relatives, sont des activités présentant un risque élevé, mais dont la pratique est considérée comme raisonnable si l’assuré remplit certaines exigences, notamment sur le plan des aptitudes personnelles (Ionta, p. 196). Ainsi, le refus ou la réduction de la prestation dépend du fait de savoir si l’assuré(e) était apte à exercer l’activité et a pris les précautions nécessaires pour limiter les risques à un niveau admissible. Si la réponse est positive, l’activité ne sera pas considérée comme téméraire (art. 39 LAA et 50 OLAA ; Dupont/Longchamp, p. 308). A titre d’exemples d’entreprises téméraires relatives, nous pouvons citer le canyoning (ATF 125 V 312), la plongée (ATF 134 V 340), la varappe (ATF 97 V 72), ainsi que l’alpinisme (ATF 97 V 72).
Ainsi, selon le degré de difficulté et le niveau de risque dans le cas particulier, il n’est pas exclu de considérer la pratique de l’alpinisme dans un cas concret comme une entreprise téméraire, engendrant une réduction voire un refus de prestations de la part de l’assurance accident (TF 8C_472/2011 du 27 janvier 2012, consid. 2.3).
Dans la pratique, le refus total de prestations reste toutefois rare. Il s’agirait par exemple du cas d’un(e) randonneur/euse inexpérimenté(e), se lançant dans un parcours en montagne de niveau très difficile, par mauvais temps et malgré la mise en garde d’alpinistes disposant de connaissances solides (Ionta, p. 201).
D. La réduction ou le refus de prestations en cas de commission d’un crime ou d’un délit
Si la personne assurée a été victime d’un accident en commettant un crime ou un délit, même de manière non intentionnelle (la réduction sera néanmoins plus importante en cas de commission intentionnelle que non intentionnelle ; ATF 134 V 227 consid. 3.5), les prestations peuvent être réduites, ou, dans les cas particulièrement graves, refusées (art. 21 al. 1 LPGA et 37 al. 3 LAA). L’accident doit survenir à l’occasion de la commission d’une infraction, il n’est toutefois pas nécessaire que l’acte délictueux soit la cause du dommage causé (Frésard-Fellay/Kahil-Wolff/Perrenoud, p. 447).
Ainsi, si le/la guide de montagne, respectivement le/la chef(fe) de course a causé une lésion corporelle par négligence, respectivement la mort d’un participant et que dans ce cadre il/elle a lui/elle-même subi un accident, celui/celle-ci s’expose à une réduction respectivement une suppression de l’indemnisation de son assurance.
V. Question spécifique : Accès à la cabane plus sécuritaire
Comme nous l’avons vu, le/la guide de montagne, le/la chef(fe) de course et le meneur de fait ont tous une responsabilité lors de la conduite d’une course d’alpinisme. De par leur degré de formation et de connaissance respectif, ce degré de responsabilité sera plus ou moins élevé.
Quel que soit le degré de responsabilité, le meneur de course doit toujours s’assurer qu’il agit dans la diligence, compte tenu de ses capacités personnelles, de celle des participants et de la situation concrète. En cas d’accident, il sera amené à devoir prouver cette diligence. Pour cette raison, il est impératif de garder ce besoin de preuve à l’esprit et de soigneusement documenter, par des traces écrites, la préparation de chaque course. Lors de la course, il est bien évidemment très difficile de constituer des preuves écrites, mais les contrôles et raisonnements opérés en cours de sortie peuvent être communiqués aux membres du groupe qui seront alors à même de témoigner sur ce point dans le cadre d’une éventuelle procédure.
Cela étant dit, il ne faut pas oublier que les participants endossent eux-aussi une certaine responsabilité. Bien que leur responsabilité soit moindre pour une course menée par un/une guide de montagne, plus élevée lors d’une sortie du club alpin et très élevée dans le cas du meneur de fait, les participants doivent effectuer certains contrôles basiques eux-mêmes et s’assurer que leur propre matériel fonctionne. Ils ont également un devoir d’information spontané en cas de problème inhabituel. Il est donc important de toujours rappeler ce devoir d’information et de contrôle à chaque participant.
Les guides et les chef(fe)s de course doivent également maintenir leurs connaissances à niveau et suivre les formations continues recommandées. Il n’est en effet pas rare que certaines pratiques changent et il est absolument primordial d’en avoir connaissance, sous peine d’engager sa responsabilité.
Enfin, et dans la mesure où la position de garant peut résulter d’actes concluants (TF 6B_301/2010, consid. 2.4), les meneurs de fait seront bien avisés d’être conscients de leur responsabilité et d’agir en conséquence. Ainsi, avant chaque sortie, il est primordial de clarifier le rôle de chacun et les responsabilités qui en découlent, notamment en termes de devoir de diligence et de nécessité de preuve de son respect.